Ordre et Chaos

Fotos: Anton Minayef und Mike Duchstein


 

Saarbrücken 2024

 

François Schwamborn: Orde et Chaos, 2024, Lumière/ Vidéo, Moderne Galerie Sarrebruck

 

Je vous le dis : il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir enfanter une étoile dansante.
(Nietzsche)

 

Deux systèmes d’imagerie en perpétuelle transformation sont influencés par la contingence — ce qui est possible, mais non nécessaire, et ce qui, en même temps, ne pourra jamais être répété. Dans deux espaces opposés, une installation analogique et une installation numérique génèrent des projections tramées, créant des structures qui changent d’instant en instant. Chaque image est éphémère et unique.

 

Le système analogique : un espace obscurci – la lumière du jour ou la lumière artificielle de la nuit pénètre par des fentes lumineuses. Celles-ci se reflètent sous forme de lignes de lumière dans un bassin d’eau noire. Des ventilateurs mettent la surface de l’eau en mouvement, les lignes se brouillent, se déforment et s’animent. Le tramage ordonné de l’opacité et de la transparence sur la façade vitrée produit, dans un jeu imprévisible de lumière, temps, météo, position du soleil, lumière ambiante, mouvement de l’eau et de l’air, une projection analogique, vivante, scintillante, à la surface de l’eau. L’image en mouvement se génère en temps réel à partir d’événements sensoriels simultanés. La cause (par exemple : un soleil éclatant) et l’effet (par exemple : une projection lumineuse aux contours nets) ne peuvent être ni maîtrisés ni planifiés, mais sont compréhensibles de manière logique et sensorielle. Selon le mot français réfléchir (penser), les pensées résonnent en nous comme des réflexions d’expériences vécues, déformées par notre perception et notre vision du monde. Et pourtant, dans ce processus réflexif influencé de l’extérieur et pré-conditionné, réside la possibilité de penser autrement. De la même manière, nous nous trouvons dans le monde intérieur obscurci du musée, observant comment les réflexions lumineuses déformées venues de l’extérieur pénètrent, se transforment, et créent sans cesse de nouveaux univers d’images abstraites dans l’eau.

 

 

L’œuvre se transforme selon l’heure du jour et la saison, en fonction de la position du soleil.

Dans l’espace opposé se trouve le système numérique, une installation vidéo. L’œuvre consiste en un conglomérat de shaders qui prennent vie dans un système récursif. Des structures organiques et des univers visuels apparaissent, croissent, disparaissent, chacun étant aussi différent que le précédent. La récursivité, en tant que réflexion infinie numérique, toujours légèrement modifiée et combinée, génère une simulation qui s’approche du hasard. Tandis que dans le premier espace, l’on comprend comment naissent les reflets déformés, ici, la mécanique algorithmique, la cause des images, reste dissimulée dans la machine de calcul. Sommes-nous, dans le premier espace, dans la boîte noire au sens figuré – ou dans un monde phénoménologique de traitement intérieur, inside the head – ici, nous observons un processus de création, mais ne voyons que le résultat de la boîte noire. Nous le percevons comme aléatoire, organique, naturel, mais ne pouvons plus le comprendre sensuellement. La machine et l’organique proliférant fusionnent.

 

L’œuvre Ordre et Chaos de François Schwamborn interroge l’interaction des deux mondes, explorant le chaos déterministe. Causes et effets sont liés, mais influencés, perturbés. C’est l’imprévisibilité de ces perturbations – les plus infimes variations d’une multitude de facteurs – qui transforme les structures des projections, qui les rendent vivantes. Les œuvres, en tant que systèmes, rendent le chaos déterministe visible. En même temps, nous devenons témoins de processus créatifs générés devant nos yeux par des machines analogiques et numériques, conçues par l’humain. François Schwamborn pose des questions sur le vivant, sur la manière dont nous nous situons dans des processus de constante émergence. Il met en lumière les éléments humains de ces processus : d’un côté, par des moyens techniques qui rendent visibles les facteurs extérieurs et contingents, offrant ainsi au regard une possibilité de se situer dans le temps et l’espace, d’aiguiser sa perception ; de l’autre, il montre comment ces moyens techniques peuvent se détacher des facteurs extérieurs imprévisibles et les générer eux-mêmes de façon autonome, à travers la machine, initiée par l’artiste-programmeur.

 

 

Dans le cadre de l’exposition, le mapping Kontrapunkt sur le 4ᵉ pavillon de la Galerie Moderne a également été réalisé.